Cuisiner avec les bons ingrédients : Les défis de la cueillette de données dans le nord de l'Ontario

27 juin, 2019 - Des décisions en matière de politiques publiques fondées sur des données de faible qualité, erronées ou incomplètes sont un peu comme un repas préparé avec des ingrédients manquants, périmés ou qui ne figurent pas dans la recette. Si les résultats sont bons, vous avez eu la chance. Cependant, il est probable que cette horloge arrêtée se trompera longtemps avant de donner l’heure juste.

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Malheureusement, les données pour les régions du nord de l’Ontario peuvent parfois être de faible qualité, erronées ou incomplètes. Il faut pouvoir mettre les bouchées doubles pour obtenir les bons ingrédients. Prenons la population du secteur de Kenora au cours des 15 dernières années, par exemple. Même dans un cas en apparence aussi simple, un ensemble de données claires cache quelques vérités.


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Pourquoi la population a-t-elle diminué de 10 % de 2006 à 2011 ? Faisons mieux : pourquoi a-t-elle augmenté de nouveau cinq ans plus tard ? On a dénombré 7926 personnes de plus dans le recensement de 2016 que dans celui de 2011, une hausse de 13,8 %. Il s’agit d’une croissance trois fois plus importante que celle de l’ensemble de l’Ontario (4,6 %) et deux fois plus grande que le taux de croissance national. En conséquence, la population du nord-ouest de l’Ontario a crû de 3,4 %.

Il s’agit d’une excellente nouvelle pour une région qui a connu un déclin prolongé de sa population. Ce chiffre a fait les manchettes, a été la source de profils communautaires et le ministère des Finances de l’Ontario a mis de l’avant Kenora comme la division de recensement connaissant la plus forte croissance de la province. Mais il y a un tout petit problème.

Les données mentent !

Bon, elles ne mentent peut-être pas tout à fait, mais elles ne racontent pas toute l’histoire. Une série de feux de forêt qui ont fait rage en 2011 ont fait en sorte que 13 communautés des premières nations dans le district n’ont pu être recensées. La population de ces secteurs a été dénombrée plus tard dans l’année dans le cadre d’une collecte volontaire spéciale, mais, puisque cette enquête ne faisait pas partie du recensement, ces totaux n’ont pas été inclus dans les données du recensement. Les chiffres de ses collectes spéciales sont faciles à consulter, si vous savez qu’ils existent et que vous devez les trouver vous-même. Si ce n’est pas le cas, il manque un ingrédient clé à votre recherche. Il s’agit incontestablement d’un problème, puisqu’on comptait environ 8520 personnes dans ces communautés. Si l’on tient compte de ces personnes, le portrait peint par le dernier recensement est beaucoup moins reluisant.

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Tout à coup, la population de Kenora décline, pour la première fois du présent siècle. En fait, le décompte exact de ces personnes en 2011 fait quand même en sorte que l’ensemble du nord de l’Ontario a connu une diminution de sa population en cinq ans. Mais il ne faut pas s’en faire! Toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises.

Ces données ne sont pas entièrement correctes non plus.

La première nation Pikangikum n’a pas été recensée en 2016 pour «d’autres» raisons, lesquelles pouvaient inclure des questions de santé et de sécurité, des restrictions de l’accès et plus encore. En 2011, la population de la communauté était de 2 280 personnes et la Independent First Nation Alliance estime que 2 300 personnes y vivaient. Si cette population a cru au même taux entre 2011 et 2016 qu’entre 2006 et 2011 (de 2 100 à 2280 personnes), la population de Pikangikum en 2016 serait de plus de 2450 personnes.[i] Quelques autres communautés des premières nations, de taille plus modeste, n’ont pas été non plus recensées, ce qui signifie que plus de 3000 personnes ont été comptées en 2011, mais pas en 2016. Ce nombre serait suffisant pour replacer Kenora et le nord-ouest du côté de la croissance. 

Cependant, Attawapiskat a été recensée en 2016, mais pas en 2011, et ne fait pas partie de la collecte spéciale. Le rajout de cette population pourrait être suffisant pour ramener le chiffre du côté de la décroissance. En fait, nous nous rendons compte que d’autres cas exceptionnels peuvent être notés en 2006 et en 2001, mais nous allons nous arrêter là.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que même les données les plus simples ne sont pas toujours aussi claires que l’on pourrait le croire. Le recensement, soit le décompte officiel de la population du Canada, montre que le secteur de Kenora a connu un déclin marqué suivi d’une croissance fulgurante. Cette volatilité n’a rien à voir avec l’évolution de la population, mais est plutôt fonction des différences dans qui a été et n’a pas été compté au cours de chaque période de recensement.

Vous vous demandez peut-être pourquoi les totaux de 2011 n’ont pas été ajustés? Statistique Canada l’a déjà fait, à Sioux Lookout, par exemple. Le recensement de 1996 montrait une population de 3 469 personnes, mais au prochain recensement, la population de 1996 était indiquée comme étant de 5 165 personnes. Pourquoi la même organisation est-elle arrivée à deux différentes réponses à la même question? Les limites géographiques de Sioux Lookout ont changé lorsque des régions environnantes y ont été rattachées en 1998. Statistique Canada a mis à jour le total pour donner l’image la plus exacte possible de la situation.

Selon Statistique Canada, l’organisation a pour politique de modifier les totaux lorsque les limites géographiques d’un territoire évoluent, mais pas dans le cas d’évacuations. Le recensement est un profil instantané à un moment donné, soit où les gens se trouvaient le jour du recensement. Il se peut que certaines personnes ne soient pas comptées, surtout dans des circonstances exceptionnelles. Et il est vrai que des personnes évacuées ont autre chose à faire que de remplir des formulaires de recensement.

Peut-être la solution est de consulter un différent ensemble de données?

Les Estimations démographiques annuelles : régions infraprovinciales de Statisque Canada, moins bien connues, conviennent bien à ces situations. Cet ensemble de données vise à tenir compte des personnes qui pourraient avoir été manquées par le recensement. Le Graphique 3 ci-dessous estime qu’il y a généralement 4000 personnes de plus dans le secteur que le recensement n’indique.

 

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Dans l’ensemble, comment les décideurs politiques font-ils pour établir des projections relatives à la main d’œuvre, à la santé ou au logement, lorsque la population pourrait croître de 13,8; 5,5; ou -0,9 %, selon les données consultées? Un des taux est trois fois plus élevé que pour l’ensemble de la province, l’un est légèrement plus élevé et l’autre montre une diminution. Différents ingrédients mènent à différents résultats, ce qui déclenche des réponses vastement différentes.
Les données peuvent être bizarres. Lorsqu’elles font un témoignage, elles jurent qu’elles ne disent que la vérité, mais elles se croisent parfois les doigts au moment de jurer de dire « toute la vérité ». C’est pourquoi il peut en valoir la peine de vous assurer d’avoir les bons ingrédients. Sinon, votre seul espoir est d’avoir de la chance.

[1] À noter, il y a encore plus confusion au chapitre des données, si l’on considère qu’Affaires autochtones et du Nord Canada indique que la population inscrite sur la réserve était de 2 877 personne en mai 2019. Les médias, entre-temps, ont établi la population totale à 3 800-4 000 personnes au moment de préparer leurs reportages sur les feux de forêt qui ont forcé l’évacuation de la population au printemps de 2019.

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Anthony Noga est un analyste de recherche à l'IPN.


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