Les politiques publiques au secours « numérique »!

Mars 2023 - Quiconque utilise les médias sociaux est au courant des récentes discussions sur la désinformation et la confidentialité des données. Même ceux qui ne sont pas actifs sur ces plateformes en ont entendu parler dans les actualités ou par des amis.

Pour lutter contre ces problèmes, certains pays développés ont adopté des lois qui réglementent la façon dont ces plateformes en ligne gèrent l’information et le contenu de leurs utilisateurs. Les organismes de réglementation en Autriche, en Allemagne et au Royaume-Uni ont déjà pris des mesures audacieuses pour remédier à l’insuffisance de la réglementation relative aux médias sociaux, tandis que l’administration Biden envisage une kyrielle semblable de nouveaux règlements. Le Canada est toutefois à la traîne. Le pays a envisagé, mais n’a pas approuvé, une loi à cet égard, laissant aux entreprises le soin de gérer la désinformation et de protéger les données de ses citoyens au moyen de normes.

Cette situation pourrait changer si la Chambre des communes adopte la Loi de 2022 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique. La Charte, proposée dans le projet de loi C-27, pourrait transférer le fardeau de la confidentialité des données et de la gestion des contenus trompeurs des consommateurs aux organisations, en augmentant la transparence et en instaurant un système de contrôle d’application au moyen de sanctions pécuniaires.

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Pour ceux qui doutent de l’efficacité de la Charte, la réglementation du contenu des médias sociaux s’est déjà révélée très efficace. Face à la pression croissante de la population et des législateurs, les réseaux sociaux ont commencé à agir dans la lutte contre la désinformation ou les contenus trompeurs. Le fait que Twitter et Facebook aient banni l’ancien président américain Donald Trump de leurs plateformes pour avoir prétendument partagé des informations trompeuses et enflammé des millions de ses abonnés indique clairement qu’ils peuvent agir lorsqu’on les presse.

Au Canada, la décision de Twitter de bloquer 30 comptes pour empêcher l’archivage des gazouillis supprimés de politiciens canadiens est un autre signe que les géants des médias sociaux peuvent intervenir au besoin. Par ailleurs, un sondage mené au Canada par la Fondation canadienne des relations raciales et Abacus Data a révélé qu’au moins 60 % des répondants pensent que « le gouvernement fédéral a l’obligation de proposer une réglementation pour empêcher la diffusion de discours et de comportements haineux et racistes en ligne ».


Mais quel est le rôle du gouvernement dans la réglementation des médias sociaux?

Le gouvernement américain a déjà jeté son dévolu sur l’article 230 de la Communications Decency Act, qui exonère les sociétés Internet de toute responsabilité concernant le contenu généré par les utilisateurs et diffusé sur leurs plateformes. Des lois visant à protéger le grand public contre les contenus préjudiciables ont été évoquées.

Certaines des lois à l’étude aux États-Unis pourraient obliger Facebook et Twitter à respecter certaines normes en matière de transparence et de protection des données. Une réglementation plus stricte pourrait aider à lutter contre la désinformation ou les contenus trompeurs sur les réseaux sociaux, en tenant les entreprises de médias sociaux responsables de toute désinformation ou de tout contenu partagé sur les plateformes dans l’intention de provoquer des dommages.

Entre-temps, la réglementation au Canada a pris du retard. Natasha Tusikov, professeure adjointe à l’Université York et auteure de Chokepoints: Global Private Regulation on the Internet, affirme que le gouvernement canadien accuse un retard par rapport aux autres pays développés dans le renforcement de la réglementation concernant les plateformes de médias sociaux. Alors que l’Autriche, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont récemment adopté de nouvelles mesures pour lutter contre les discours haineux et la désinformation en ligne, le Canada envisage toujours de nouvelles règles, mais ne les met pas réellement en œuvre.

Le gouvernement fédéral actuel a présenté deux nouveaux projets de loi dans ce domaine. Le projet de loi C-10 a été structuré de manière à moderniser la Loi sur la radiodiffusion en tenant compte des nouvelles façons de consommer le contenu (diffusion en continu) et en reflétant mieux les segments marginalisés de la société (communauté 2SLGBTQ+, communautés racialisées, personnes handicapées et peuples autochtones). Entre-temps, l’objectif du projet de loi C-36 était d’offrir un recours aux utilisateurs confrontés à des préjugés et à de la haine en ligne. Ces projets de loi ont été élaborés après des années d’enquêtes et d’études en comité et ont reçu la sanction royale en 2022.

Alors que le gouvernement promet de les relancer, Mme Tusikov a déclaré que même ces mesures ne s’attaquent pas à la racine du problème : le modèle économique des médias sociaux.

Les plateformes sociales misent sur la mobilisation des utilisateurs, ce qui favorise la fidélisation, l’attraction de l’auditoire et les conversions pour les véritables clients des plateformes : les annonceurs. Même si les annonceurs traditionnels se sont retiré des contenus en ligne nuisibles, en général, le taux de mobilisation est le facteur clé pris en compte pour la plupart des campagnes. En clair, les revenus des médias sociaux reposent sur la rétention de l’attention, ce qui encourage indirectement les opinions extrémistes et les contenus sensationnels sur les plateformes.  La vérification des faits et la modération sont dissuadées par ce modèle.     

Le sentiment de Mme Tusikov, selon lequel le modèle économique fondamental des médias sociaux est brisé, a été repris par de nombreux législateurs, comme les représentants Anna Eshoo et Jan Schakowsky, ainsi que le professeur Sinan Aral du MIT Sloan.    

À moins que les gouvernements parviennent à réglementer sérieusement les plateformes sociales et à mettre des garde-fous à leur modèle économique, la création et la diffusion de contenus préjudiciables ne sont pas susceptibles de diminuer.


Alors, qu’est-ce que cette Charte du numérique, déjà?

Le 16 juin 2022, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-27, Loi de 2022 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique. Si elle est adoptée, la Charte du numérique pourrait grandement améliorer la sécurité des internautes partout au pays tout en rationalisant la circulation de l’information sur nos plateformes numériques.

En plus de réglementer le traitement des renseignements personnels par les sociétés et la façon dont elles peuvent utiliser l’intelligence artificielle, la Charte comprend les propositions suivantes :

  • Une plus grande transparence sur la façon dont les renseignements personnels sont stockés et gérés par les sociétés. Les Canadiens peuvent s’attendre à avoir beaucoup plus de contrôle sur leurs données personnelles et seront libres de les partager ou de les transférer sans contrainte excessive.
  • La liberté de transmettre facilement des renseignements personnels d’une société à l’autre.
  • Le droit de retirer son consentement ou de demander la destruction des données personnelles lorsqu’elles ne sont plus nécessaires à l’utilisation par la société.
  • Des amendes pouvant aller jusqu’à 5 % du revenu ou 25 millions de dollars, selon le plus élevé des deux montants, lorsqu’un organisme est déclaré responsable des infractions les plus graves en vertu du nouveau projet de loi, soit les amendes les plus sévères du G7.
  • Des normes pour le développement et la gestion des systèmes d’intelligence artificielle.

S’ils sont mis en œuvre, ces normes et protocoles pourraient grandement améliorer le paysage numérique au Canada. Les géants de la technologie de l’autre côté de la frontière ne seraient plus responsables de la vie des Canadiens et de leur accès à des renseignements essentiels.

Aux États-Unis, par exemple, 24 % des responsables de la protection de la vie privée des grandes entreprises (comptant plus de 1 000 employés) traitent entre 10 et 50 demandes de renseignements personnels par semaine  au titre de la Consumer Privacy Act de la Californie, selon un  . Neuf pour cent de ces responsables ont déclaré qu’ils recevaient jusqu’à 500 demandes par semaine.

Les répercussions négatives des plateformes sociales pourraient être atténuées et les menaces émergentes liées à l’utilisation abusive de l’IA et des modèles commerciaux basés sur les données réduites.

Pour faire appliquer ces normes, le projet de loi  C-27 renforce considérablement les pouvoirs du Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP). S’il est adopté dans sa forme actuelle, le projet de loi pourrait permettre au CPVP d’ordonner aux organismes de modifier leurs pratiques et de rendre ces changements publics, ce qui assurerait une plus grande transparence. Il pourrait également donner au CPVP le pouvoir d’approuver ou non les codes de pratique ou le programme de certification d’un organisme pour satisfaire aux exigences de conformité des données.

Pour traiter les sanctions, le projet de loi C-27 recommande la création d’un nouveau Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données. Ce tribunal pourrait avoir le pouvoir de donner suite aux recommandations du CPVP et d’imposer des pénalités d’un maximum de 10 millions de dollars ou de 3 % du revenu brut mondial aux organismes non conformes.

En résumé, le projet de loi proposé par le gouvernement fédéral renforcerait la protection des données en faisant du consentement du consommateur le principal moteur de la collecte de données. Cependant, pour alléger le fardeau des consommateurs, le projet de loi rend les organismes responsables de la transparence et de la conformité, tout en instituant un nouveau tribunal chargé d’appliquer les sanctions.

Il reste à voir si ce projet de loi sera adopté. Mais s’il est mis en œuvre, il pourrait avoir une incidence considérable sur la façon dont les Canadiens utilisent les plateformes numériques et sur le modèle d’affaires qui consiste à fournir ces plateformes aux Canadiens. Tant que de tels projets de loi ne seront pas adoptés, les internautes canadiens seront désavantagés par rapport à leurs homologues du monde entier.

 

 

À propos de David Bruno : En tant que fondateur et ancien PDG d'une entreprise mondiale de cybersécurité, David est spécialisé dans les systèmes de lutte contre la fraude et l'espionnage d'entreprise dans le monde entier. Il fournit des solutions financières pour les secteurs numériques et interactifs de la FINTECH et, depuis plus de 20 ans, il s'efforce de fournir des protections de sécurité aux masses et a investi son propre argent dans un serveur de courrier électronique crypté E2EE gratuit pour le public. Il est membre de l'Electronic Frontier Foundation (EFF) et contribue à la défense des libertés civiles numériques. Il est analyste des politiques technologiques pour la Global Foundation For Cyber Studies & Research (gfcyber.org), basée à Washington DC, et collaborateur de l'Institut des politiques du Nord, où il se consacre à l'éducation du public sur la surveillance du courrier électronique en général et sur l'importance du cryptage, en particulier pour les populations vulnérables telles que les réfugiés. Il a également contribué à l'élaboration de la nouvelle Charte numérique du Canada, réintroduite en 2022 par le ministre François-Philippe Champagne.

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