Évitement fiscal et fraude fiscale d'entreprises ainsi que la RGAÉ : Oh là là!

5 août, 2015 - Récemment l'attention a beaucoup porté sur l'évitement fiscal d'entreprises, et il a été demandé à celles-ci de « payer leur juste part ». Si vous vous trouvez dans ce camp, j'espère alors que vous suivez de près les débats de l'OCDE, portant sur l'érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices, les fuites d'information du Luxembourg et, oui, même les budgets fédéraux. Non? Eh bien, vous devriez le faire.

Beaucoup de personnes semblent mêler stratégies d'évitement fiscal et de fraude fiscale. Toutefois, il est rare que leurs manigances soient clairement des fraudes. La plupart des stratégies fiscales des entreprises, qui servent à réduire au minimum leurs impôts, reposent sur l'utilisation du code fiscal existant, mais à leur avantage (comme il est permis à nous tous de le faire). C'est pourquoi, dans les derniers budgets fédéraux, beaucoup d'efforts ont été déployés pour éliminer les échappatoires qui permettent certains comportements. Une approche a été de cesser de dépendre autant de la règle générale anti-évitement (RGAÉ) (j'ai déjà abordé la RGAÉ, ici et ici), et de dépendre plutôt de règles anti-évitement spécifiques. Toutefois, ces règles spécifiques ne semblent pas retenir tellement l'attention à l'extérieur de très petits cercles de binoclards. Je crois qu'il est important pour nous tous de bien comprendre ce mouvement.

Permettez-moi donc d'aborder l'élément surprise du Budget 2015, qui n'a guère attiré l'attention alors (et c'est encore le cas aujourd'hui) à l'extérieur des cercles fiscaux restreints, mais il est intéressant, et nombreux sont ceux qui se trouvent pris au dépourvu. Le Budget 2015 comprenait des règles anti-évitement spécifiques pour les arrangements de capitaux propres synthétiques (ACPS).

Vous savez (?) que certaines actions de sociétés canadiennes comportent des dividendes. Ces revenus de dividendes sont imposables (en quelque sorte), mais, aux fins fiscales, il y a des règles très spéciales lorsque qu'une société canadienne verse un dividende à un résidant canadien. Du côté des entreprises, lorsqu'un dividende est reçu par une société canadienne et provient d'une autre société canadienne, celle qui le reçoit est autorisée à déduire ce dividende lors du calcul de son revenu imposable, afin d'éviter l'imposition double du revenu de ce dividende. C'est parce que le dividende est payé à même le revenu après impôt.

Il y a toutefois trois exceptions à cette règle. La société destinataire est inadmissible à la déduction si le dividende reçu s'inscrit dans le cadre d'un mécanisme de transfert de dividendes (MTD). Il y a MTD lorsqu'une entreprise canadienne a un arrangement qui permet à la société canadienne de recevoir un dividende lié à une action, pendant que l'exposition économique à l'action est à la charge ou au profit de quelqu'un d'autre, habituellement une société non canadienne qui voulait les actions, mais, parce qu'elle n'est pas une société canadienne, ne peut déduire le dividende. Somme toute ici, pour ces sortes d'arrangements de transfert de dividendes, c'est essentiellement de l'évitement fiscal, et cela va à l'encontre de l'esprit des principes fiscaux se trouvant dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

Malheureusement, beaucoup de personnes sont grassement payées afin de trouver de nouvelles et merveilleuses façons de contourner ces règles, et c'est certes ce qui est arrivé. Par conséquent, dans le Budget 2015 était élargie la définition des MTD, afin qu'elle couvre une forme nouvelle et spécifique de ces arrangements désignés par arrangements de capitaux propres synthétiques (ACPS). Les ACPS permettaient potentiellement d'éviter l'application des règles du MTD, surtout parce qu'elles étaient si complexes qu'il était à se demander ce qu'étaient ces arrangements. Les ACPS semblaient surtout servir dans le secteur financier et étaient généralement inconnus de la plupart des gens. Le fait que le ministère des Finances aient eu vent de cela, ait compris et pris des mesures sévères connexes témoigne de ses capacités de rattrapage. Toutefois, beaucoup de personnes du monde fiscal doutaient grandement de la hausse subséquente de revenu dont les détails paraissaient dans le Budget, ce qui semblait curieusement calculé pour assurer un surplus budgétaire.

Mais il semblerait que ces transactions étaient déjà relevées grâce au MTD ou à la RGAÉ, mais puisque le ministère des Finances a formulé des règles spécifiques pour ces arrangements (et, en fait, pour tous les arrangements futurs ressemblant aux ACPS, mais conçus pour contourner ces nouvelles règles), il est très clair que (1) ce ministère veut avertir le monde des affaires, affirmer que ces sortes de manigances fiscales ne seront pas tolérées et (2) qu'il hésitait à se mêler d'autres cas complexes et de longue durée de la RGAÉ.

Puisque c'est le deuxième budget optant pour de telles règles anti-évitement complexes et spécifiques (le Budget 2013 contenait une approche similaire pour les opérations de requalification et les dispositions factices), certains se demandent si la RGAÉ deviendra une chose du passé, signalant une complexité accrue de notre code fiscal. Je veux dire qu'Ottawa continue de consulter à propos des plus récentes règles anti-évitement, et je m'attends à ce que rien de spécifique ne soit déposé à ce sujet avant 2016.

De plus, évidemment ces règles spécifiques anti-évitement ne visent que des éléments que nous connaissons déjà. Je vous assure que dans les heures qui ont suivi l'annonce du budget, un tas de personnes très bien payées ont commencé à se réunir en petits comités autour de leur bureau/ordinateur/tablette/tableau blanc électronique, créant la prochaine approche pour réduire au minimum les impôts, en se fondant sur la letrre de la législation. Je parie qu'ils ont terminé leur travail, et nous connaîtrons dans les meilleurs délais les prochaines règles spécifiques de l'anti-évitement.

C'est la partie délicate de la lutte contre la non-conformité aux règles fiscales. Vous êtes toujours en retard de quelques pas sur ceux qui ont pour tâche de trouver des façons de contourner ces règles. Alors, pour ceux d'entre vous qui semblent croire que l'ARC devrait simplement sévir et supprimer les échappatoires, cela est beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît. Sévir pour quoi? Où? Comment ? Quelles échappatoires? Les échappatoires qui permettent à vous aussi de jouir d’un traitement fiscal préférentiel?

Par Lindsay Tedds, Ph. D. Document initialement publié au blogue de L. Tedd, Dead for Tax Reasons, le 19 juin 2015.

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