Deux années, c'est trop court :

Raisons pour lesquelles une politique électorale personnalisée pour les premières nations est déterminante pour la stabilité

22 juin, 2015 - Compte tenu des constatations de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996, de déclarations de l’Assemblée des premières nations et de diverses collectivités des premières nations, il est clair que celles-ci sont dans une transition les éloignant de la politique du gouvernement fédéral, afin de devenir autonomes et indépendantes. Pour les premières nations, une solution viable face à l’instabilité politique découlant d’une politique électorale défectueuse consiste à concevoir des élections personnalisées à l’aide d’apports communautaires, afin d’élaborer leur propre politique électorale; ainsi elles pourraient s’acheminer vers la stabilité politique, s’attaquer aux besoins uniques de leurs collectivités et parvenir un jour à l’autonomie.

Les élections des premières nations au Canada sont sous le contrôle d’un certain nombre de politiques gouvernementales fédérales. Il y a actuellement plusieurs documents juridiques qui déterminent les processus de sélection à la direction des réserves, dont la Loi sur les Indiens, les politiques électorales personnalisées, les accords sur l’autonomie gouvernementale et la récente Loi sur les élections au sein de premières nations. Compte tenu de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA) de 1996, ces peuples désirent l’autonomie et l’autodétermination[1], et ils ont un droit inhérent de se gouverner eux-mêmes, en vertu de l’article 35 de la Constitution canadienne[2]. Lors d’une présentation de 2012 au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, l’Assemblée des premières nations a rappelé que les premières nations tentent d’opérer une transition vers des collectivités stables et autonomes,

« Les premières nations sont dans une période de transition et se dirigent vers davantage d’autonomie et d’autodétermination. Notre approche pour la réforme de la gouvernance – notre stratégie collective – est de poser les fondements de la bonne gouvernance, qui aideront la transition de nos nations, depuis les programmes et services fédéraux essentiellement administrés au nom du Canada ou « autogestion » en vertu de la Loi sur les Indiens, vers l’autodétermination, avec la reddition de comptes pertinente à nos citoyens[3]. »

Toutefois, la politique électorale existante des premières nations ne permet pas à ces collectivités de se stabiliser ni de s’autodéterminer et ne reflètent pas les recommandations de la CRPA ou du rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. En fait, la politique électorale des premières nations empêche les peuples autochtones de devenir autonomes et de s’autodéterminer, par la création de l’instabilité politique, par un sérieux manque de développement social et économique au sein des collectivités des premières nations du pays. L’ancien chef régional des Chefs de l’Ontario, Angus Toulouse, a dit que deux années ne suffisent pas pour élaborer, pour planifier et être responsable des résultats, « La fréquence des élections peut causer instabilité et incertitude pour les membres de la collectivité et les entreprises, et elle nuit au développement global de la collectivité. Il y a certainement de meilleures façons de procéder et les Premières nations doivent les trouver[4]. »

L’ancien chef de la première nation Millbrook, Lawrence Paul, a également dénoncé les cycles électoraux de deux ans, soulignant que les mandats courts limitent la planification et les investissements à long terme et restreignent la capacité des dirigeants d’agir dans le meilleur intérêt de leurs citoyens[5]. L’instabilité découlant de courts mandats paraît également au Congrès américain, car il y a élection de représentants à chaque deux ans, tout comme pour les chefs et conseils en vertu des dispositions électorales de la Loi sur les Indiens. Des cycles électoraux de deux ans au Congrès devaient donner aux citoyens l’occasion de tenir responsable de ses actions le gouvernement et d’élir de nouveaux représentants au besoin. Dans un examen des cycles électoraux du sénat argentin, les auteurs Ernesto Dal Bo et Martin A. Rossi prétendent que l’idée de mandats plus courts contribue à l’instabilité et à l’inaction politiques « si des engagements de campagnes nuisent aux devoirs législatifs, un mandat plus court peut réduire les efforts législatifs [. . .] si ceux-ci s’accompagnent de récompenses qui s’accumulent avec le temps, un mandat à court terme diminue l’espoir de tirer avantage de ces récompenses, ce qui décourage encore les efforts[6]. » Si les premières nations veulent s’orienter vers l’autonomie, elles doivent pouvoir devenir politiquement et économiquement stables, et ce, par l’élaboration de leur propre politique électorale personnalisée, ce qui permettrait aux collectivités d’aborder leurs besoins uniques, de remplir leur mandat et d’améliorer leur situation socioéconomique au lieu de se préparer à des élections à chaque deux ans.

Deux cent trente-huit premières nations élisent leur chef et conseil conformément aux dispositions électorales des articles 74 à 79 de la Loi sur les Indiens[7], à savoir une élection de chef et de conseil à chaque deux ans. Le mandat extrêmement court de deux ans crée de fréquents changements de dirigeants et rend difficile pour le chef et le conseil de mener à bon port leur mandat[8] – juste comme la direction nouvellement élue vient de matérialiser son plan, elle doit se préparer pour une autre élection. De plus, des mandats de deux ans peuvent être particulièrement difficiles pour les chefs et les conseils qui n’ont jamais joué ce rôle, comme l’explique Theresa Hood, gestionnaire intérimaire de bande de la première nation Nuxalk :

« Notre communauté croit que tenir des élections aux deux ans est trop rapide pour notre conseil. Nos membres considèrent qu’ils ont à peine le temps d’apprendre à connaître notre organisation au moment où leur mandat prend fin. Cette situation est compliquée par le grand roulement au sein de notre conseil. On retourne en arrière à chaque élection. Nous perdons également des membres importants de notre conseil à chaque élection, des conseillers responsables de portefeuilles clés[9]. »

Les premières nations reconnaissent que la politique électorale liée à la Loi sur les Indiens est faible et ne laisse pas aux dirigeants suffisamment de temps pour s’acquitter de leur mandat, nuit à la planification à long terme et limite la capacité de s’engager dans des entreprises risquées ou des partenariats, ce qui laisse de nombreuses collectivités stationnaires en matière de développement social et économique.

Trente-six premières nations au Canada sont autonomes[10], c’est-à-dire qu’elles sont parvenues à des accords d’autogouvernance avec la Couronne ou ne sont pas couvertes par traité. Ces nations peuvent concevoir leurs propres méthodes électorales, même si elles doivent se conformer à la Charte canadienne des droits et libertés. Une nation autonome jouit de la plus grande latitude dans la détermination des processus de sélection des dirigeants et peut recourir aux méthodes classiques de sélection des ceux-ci, notamment les chefferies héréditaires ou les conseils tribaux. Selon Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, il y a actuellement dans le pays 90 négociations en cours et portant sur l’autonomie; cela indique que beaucoup de collectivités sont sur la voie menant à l’autonomie[11]. Toutefois, de nombreuses premières nations ne sont pas encore assez stables pour devenir autonomes; elles ont donc besoin d’une transition, depuis le contrôle du gouvernement fédéral vers le statut de nation indépendante.

La Loi sur les élections au sein de premières nations semble offrir aux premières nations une solution de rechange viable quant aux dispositions électorales de la Loi sur les Indiens, pendant qu’elles s’acheminent vers l’autonomie. Selon la Loi sur les élections au sein de premières nations, les collectivités peuvent adhérer à législation et prolonger par la suite leur mandat, de deux ans à quatre, laissant idéalement aux dirigeants assez de temps pour développer et pour stabiliser leur collectivité. Toutefois, ce prolongement ne bénéficie pas à chaque première nation et ne répond pas nécessairement à ses besoins divers et uniques. Pour qu’il y ait réponse aux besoins des premières nations pendant qu’elles se dirigent vers l’autonomie, il faut pouvoir concevoir une politique électorale personnalisée et mettre en place des processus de sélection des dirigeants qui bénéficient à chaque collectivité individuellement.

D’après Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 343 premières nations ont élaboré leur propre réglementation électorale personnalisée et n’ont pas à se conformer aux dispositions électorales de la Loi sur les Indiens[12]. Ces politiques électorales formulées par ces collectivités doivent être approuvées par le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord. La création d’une politique électorale de première nation permet à celle-ci de répondre à ses besoins particuliers, en concevant des politiques communautaires à l’aide d’apports des membres. En outre, la politique électorale personnalisée permet aux collectivités d’intégrer leurs méthodes traditionnelles de gouvernance, car une collectivité crie peut gouverner autrement qu’une collectivité anishinaabe (ojibway). Les politiques électorales personnalisées comprennent ordinairement des mandats prolongés, limitent la taille du conseil et renforcent le processus de nomination pour les candidats[13]. Beaucoup de premières nations ont prolongé à trois ans leurs mandats, et d’autres ont échelonné les élections du conseil – ayant la moitié de celui-ci élu après trois ans et l’autre moitié, plus tard, afin d’assurer une certaine continuité[14]. Bien que les données les plus récentes des premières nations qui se servent de codes personnalisés soient limitées à 206 collectivités, 58 ont opté pour le maintien de mandats de deux ans; 84 pour des mandats de trois ans; 64 ont adopté des mandats de plus de trois ans[15]. Il semble que les premières nations abandonnent le mandat de deux ans, en faveur de mandats plus longs, afin de devenir politiquement stables pendant qu’elles opèrent la transition vers l’autonomie.

[1] http://www.collectionscanada.gc.ca/webarchives/20071211062256/http://www.ainc-inac.gc.ca/ch/rcap/sg/sh12_e.html#3

[2] http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-16.html

[3] http://www.afn.ca/uploads/files/parliamentary/regionalchiefjodywilson-raybould.pdf (anglais p.2)

[4] http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/403/abor/rep/rep03may10-f.pdf (anglais p. 20)

[5] http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/403/abor/rep/rep03may10-f.pdf (anglais p. 19)

[6] http://faculty.haas.berkeley.edu/dalbo/Term%20Length%20Final.pdf p.3

[7] http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1323193986817/1323194199466

[8] http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/403/abor/rep/rep03may10-f.pdf (anglais p. 19)

[9] http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/403/abor/rep/rep03may10-f.pdf  (anglais p. 19)

[10] http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1323193986817/1323194199466

[11] http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1323193986817/1323194199466

[12] http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1323193986817/1323194199466

[13] http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/403/abor/rep/rep03may10-e.pdf  p. 29

[14] http://fngovernance.org/resources_docs/CustomElectionCode_FactSheets.pdf

[15] http://fngovernance.org/resources_docs/CustomElectionCod_BackgroundTemplate.pdf (anglais p.25)

Par Matt Pascuzzo

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